On demande régulièrement aux auteurs quelles sont leurs sources d'inspiration. Je réponds bien souvent que l'inspiration me vient naturellement et que, parfois, un élément extérieur vient la raviver. Ce dont j'avais envie de vous parler aujourd'hui, c'est de l'histoire bien particulière derrière les noms de certains personnages dans L'ennemie de Sylfar, ma première série.
J'ai eu la chance de pouvoir bien connaître mes arrière-grands-parents. Rares sont ceux qui ont cette opportunité, j'en suis bien conscient. Grand-papa Ernest et Grand-maman Gemma. C'est comme ça que tout le monde les appelle, dans ma famille. Toute leur vie durant, ils ont résidé dans le Bas-du-Fleuve. Un village tranquille, mais animé par les passants. J'ai de nombreux souvenirs de cette maison où ils demeuraient. Toutes ces fêtes du Travail où l'on se réunissait pour déguster le maïs du jardin de mes arrière-grands-parents. Les framboises que je récoltais dans un pot vide de margarine pour mon arrière-grand-mère, mais que je dévorais à même le jardin. La véranda à l'arrière de la maison, dans laquelle se trouvait la réserve de nourriture de Grand-maman Gemma. Son gâteau au chocolat sous la cloche de verre, que je ne mangeais jamais sans boire de lait. Grand-papa Ernest, assis sur la galerie avant, saluant tous les passants du village. Grand-maman Gemma, la reine incontestée du Skip-Bo.
Tant de fois sommes-nous allés à cette maison. Chaque été, en fait. Et, pour s'y rendre, c'était de mon point de vue une très longue route. On parle d'environ 4 heures. Moi qui ai toujours été un enfant tranquille, je passais le temps, je regardais par la fenêtre, je fixais le soleil même si on disait que c'était mauvais pour les yeux, je m'endormais, je lisais… On s'occupe comme l'on peut s'occuper, bien entendu.
L'une des fois où nous nous y sommes rendus, j'avais alors commencé à rédiger le premier tome de ce qui deviendrait un jour L'ennemie de Sylfar. Le chemin du retour s'avérant une fois de plus assez long, j'étais plongé dans une profonde réflexion. Dans mon histoire venaient en effet d'apparaître un groupe de treize hommes, nommés les combattants de l'Ordre. Ceci impliquait que je devais leur trouver chacun un nom. J'étais obstinément bloqué, je n'y parvenais tout simplement pas.
C'est alors que j'ai levé la tête pour regarder par la fenêtre. Progressant à bonne vitesse vers nous, un grand panneau vert indiquait Sortie 150 : Saint-Hugues. Un déclic s'est fait dans mon esprit et j'ai tout de suite sorti mon iPod pour ouvrir les notes et inscrire le nom Hugues. Je me suis vite redressé pour lire les affiches suivantes. Saint-Liboire était la prochaine : un nouveau nom sur ma liste. Saint-Valérien-de-Milton, trop long, je garde seulement Milton. Saint-Simon, trop commun, modifions-le pour Simnor. Rue Girouard, hum, je préfère simplement Girour. Avenue Pinard. Oui, ça me va, Pinard. Un à un, j'ai ainsi ajouté à mon dossier tous les noms et j'ai finalement obtenu mes combattants de l'Ordre tels qu'ils sont aujourd'hui imprimés et distribués à travers le Canada et l'Europe francophone.
La maison qu'occupaient mes arrière-grands-parents, celle d'où je tiens tant de souvenirs, a malheureusement brûlé peu après qu'ils aient déménagé dans une résidence pour personnes âgées. Grand-papa Ernest est décédé en juillet 2013, très peu avant l'incendie, mais Grand-maman Gemma était encore bien en forme. Sa vivacité d'esprit et son sens de la répartie ont animé de nombreuses conversations entre elle et moi. La vie m'a en effet offert la chance de déménager près de chez elle en 2020, et j'ai pu devenir encore plus proche d'elle que je ne l'ai été de toute ma jeunesse.
Nous nous parlions chaque semaine, discutant de tout et de rien, d'anecdotes du passé, de ce qui survient dans la vie de notre famille, de nos rêves pour les prochaines années… Le sien était de se rendre jusqu'à 100 ans pour recevoir tout plein de cadeaux. La sagesse et la simplicité étaient ses vertus et son rire, qui s'est malheureusement éteint il y a quelques mois, restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Et, aujourd'hui encore, lorsque je parcours l'autoroute 20, j'ai toujours ce petit sourire en coin. Et des souvenirs dans mon cœur.
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